En prévision de notre prochaine table ronde du 08/02/2014 (et Assemblée générale) à propos du jeu pathologique par N. Nekrouf

Source : http://www.vosgesmatin.fr/actualite/2013/05/11/la-baraka-ca-n-existe-pas
Voir également : http://www.crje.fr/region_est.html

SANTÉ - INTERVIEW NAZIM NEKROUF, MÉDECIN PSYCHIATRE SPÉCIALISTE DE L’ADDICTOLOGIE AUX JEUX DE HASARD ET D’ARGENT« LA BARAKA, ÇA N’EXISTE PAS ! »

BESANÇON

La Mutualité française de Franche-Comté organise mardi à Besançon un « temps d’échange » à destination de proches de « joueurs pathologiques » , victimes d’une addiction aux jeux de hasard et d’argent. Ce groupe de parole sera animé par le Dr Nazim Nekrouf, médecin psychiatre au CHU de Besançon, spécialiste des addictologies comportementales. Entretien.
Pourquoi vous adressez-vous aux proches des joueurs pathologiques plutôt qu’aux joueurs eux-mêmes ?
« Parce qu’un joueur pathologique ne prend souvent conscience de son problème que lorsqu’il est dans des difficultés très importantes. A contrario, son entourage peut constituer pour lui une barrière lui permettant de ne pas franchir certaines limites. C’est la raison pour laquelle nous nous adressons aux proches. Nous les aidons à identifier un joueur pathologique et les difficultés qu’il rencontre, à lui apporter du soutien et à protéger l’ensemble de la famille des risques ».
Le jeu addictif concerne quelle proportion de la population ?
« On estime que les addictions aux jeux de hasard et d’argent touchent de 1 à 3 % de la population des pays occidentaux. En France, cette proportion s’est sans doute accentuée à partir de 2010, avec l’ouverture des jeux en ligne, même si nous ne possédons pas de données précises. »
Quelles sont les difficultés rencontrées par les joueurs pathologiques ?
« 90 % d’entre eux sont en situation de surendettement. D’un point de vue sanitaire, cette addiction s’accompagne souvent de dépression, voire d’autres dépendances comme l’alcool, la cocaïne. Le taux de suicide est également plus élevé parmi les joueurs addictifs. »
Quel est le ressort psychologique entraînant un joueur dans une addiction ?
« L’homme est en constante recherche de progrès. Si vous pratiquez le foot, vous essayez de mieux jouer en faisant les efforts nécessaires, en s’entraînant. Un joueur pathologique applique ce raisonnement aux jeux de hasard : il est convaincu que plus il joue, plus il s’améliore, plus il acquiert de l’expérience, et plus il a de chances de gagner. Ce qui est aberrant, car seul le hasard entre en compte, et absolument pas les compétences du joueur. L’humain a du mal à appréhender le hasard sur le plan cognitif. Le joueur addictif est convaincu qu’il a une influence sur lui, et il en retire du plaisir. »
Quels sont les jeux qui entraînent le plus de dépendance ?
« Assurément les jeux aux résultats immédiats, comme le Rapido de la Française des Jeux, ou les machines à sous des casinos, certains jeux à gratter et bien sûr, les jeux en ligne, où il suffit de cliquer pour miser. Les jeux à fort taux de restitution sont les plus dangereux également, car ils donnent l’illusion que jouer est ‘’rentable’’ à la longue ».
Comment guérit-on un joueur pathologique ?
« Il s’agit de modifier ses croyances, qui le rendent persuadé qu’il a la baraka ou qu’à force de jouer, le destin finira par le récompenser. La baraka, ça n’existe pas. Il faut aussi l’amener à avoir d’autres motivations, lui faire prendre conscience qu’il ne se sortira pas de ses problèmes par le jeu. »
Existe-t-il des cas « extrêmes » dans notre région ?
« J’ai en mémoire l’histoire d’un cadre supérieur qui a vendu sa voiture de fonction, appartenant donc à son entreprise, pour jouer au casino. Un autre s’est rendu coupable d’escroqueries et s’est retrouvé en prison. »

Le jeu pathologique est-il en recrudescence ?
« Oui, et peut-être la conjoncture n’y est-elle pas étrangère. Les gens les plus modestes sont ceux pour qui le risque est le plus fort. Dans une société en crise, quand la compétence, la performance personnelle ne sont plus reconnues, la tentation est forte de s’en remettre au hasard, à l’aléa. »
Connaissez-vous le roman de Stefan Zweig « 24 heures de la vie d’une femme » ?
« Bien sûr, c’est un récit magnifique qui montre justement comment un joueur peut entraîner quelqu’un de son entourage dans son univers. Dans mes réunions, je projette d’ailleurs un extrait de l’adaptation cinéma qui a été faite en 2003, avec Michel Serrault et Agnès Jaoui. »
Temps d’échange prévu le 08/02/2014 matin à Besançon.
Propos recueillis par Serge LACROIX