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DANGER LEGISLATIF: RESIDENCE ALTERNEE IMPOSEE A TOUT AGE

DANGER LEGISLATIF: RESIDENCE ALTERNEE IMPOSEE A TOUT AGE

Pr. B.Golse ; Pr A.Guedeney ; Dr M.Berger ; E.Bonneville ; Pr A.Ciccone ; Dr E.Izard ; J.Phelip
Le 30-10-2013
Cher(e)s Collègues,

C'est dans un contexte inhabituel que nous sollicitons votre attention. Le 7/12/2013 va être votée à l'Assemblée Nationale une loi sur la famille. Or le 17 Septembre, des lobbys médiatiquement très actifs ont fait voter au Sénat en catimini à trois heures du matin un amendement qui,  en cas de séparation des parents, exige que la préférence soit donnée à la résidence alternée paritaire sans limite d'âge pour l'enfant (à charge pour le Juge des Affaires Familiales d'argumenter son refus éventuel d'appliquer ce mode d'hébergement). A cela s'ajoute un article de loi voté dans la foulée : "Le fait par tout ascendant d'entraver  l'exercice de l'autorité parentale par des manipulations diverses […] est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 € d'amende", sanction supposée empêcher tout "syndrome d'aliénation parentale" (cf. infra), et qui peut menacer tout parent si son enfant manifeste des réticences, même justifiées, à aller chez l'autre parent. C'est aussi au nom de l'équité homme-femme que le 18 Septembre, un autre groupe politique a présenté un projet de loi prônant la mise en place immédiate d'une résidence alternée dès la séparation d'un couple, une médiation étant ensuite supposée permettre d'évaluer ce qui convient le mieux à la situation.

Dans le même temps et pour la première fois en France, des sociétés savantes et représentantes des professionnels de la santé psychique et de la psychopathologie de l'enfant ont mis en route un processus de réflexion concernant l'impact, sur les enfants, des modes d'hébergement dans les situations de séparations parentales, dont on sait qu'elles concernent maintenant près d'un couple sur deux et des enfants de plus en plus jeunes. Deux colloques ont ainsi eu lieu, un le 8 Avril 2013, organisé par la Société Française de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent, l'APPEA (Association de Psychologie et Psychopathologie de l'Enfant et de l'Adolescent), et le COPES ; et un autre le 4 Octobre 2013 par la WAIMH francophone, centré sur les enfants âgés de zéro à trois ans et dont les actes vont être publiés rapidement. Il n'est pas exclu que le temps que nous nous sommes ainsi donné pour la réflexion clinique et la recherche bibliographique ait été perçu comme une menace par les lobbies concernés et ait participé à la mise en place de pressions "émotionnelles" et médiatisées tels que le mouvement des "pères perchés". Les attaques écrites dont nous avons été l'objet n'ont pas troublé notre capacité de réflexion et d'échange qui, à partir de l'expérience des cliniciens présents, des juristes invités, et de l'analyse de recherches internationales portant sur un nombre élevé d'enfants et très structurées méthodologiquement, a abouti aux conclusions suivantes.

Il existe des troubles spécifiques chez l'enfant liés à la résidence alternée, qui sont distincts de la souffrance que tout enfant peut éprouver face à la séparation du couple de ses parents. Tous les enfants en résidence alternée ne présentent pas ces troubles, mais leur fréquence est importante, statistiquement très significative, et ils sont durables.

Chez les enfants de moins de trois ans, ces troubles se caractérisent par un sentiment d'insécurité, avec apparition d'une angoisse d'abandon qui n'existait pas auparavant, l'enfant ne supportant plus l'éloignement de sa mère et demandant à être en permanence avec elle, symptôme majoré le soir ; un sentiment dépressif avec un regard vide pendant plusieurs heures, et parfois un état de confusion, de non-reconnaissance des lieux au retour chez la mère ; des troubles du sommeil, de l'eczéma ; de l'agressivité, en particulier à l'égard de la mère considérée comme responsable de la séparation ; une perte de confiance dans les adultes en particulier dans le père, dont la vision déclenche une réaction de refus ; chez certains enfants plus grands, une hyperkinésie avec trouble attentionnel, un refus de se soumettre à la moindre contrainte scolaire ou familiale.

Ces troubles qui peuvent être qualifiés d'attachement insécure désorganisé-désorienté, peuvent aussi être décrits en termes psychodynamiques. Ils peuvent être reliés à un non-respect d'un besoin essentiel, le besoin de continuité, lorsque l'enfant est confronté répétitivement à deux sortes de perte. Perte de la figure principale sécurisante de l'enfant, et ce d'autant plus que cette perte se répète avec régularité et qu'elle est durable dans le temps, l'enfant ne pouvant garder cette figure en mémoire que pendant un temps limité en fonction de son niveau de maturation et de sa sensibilité personnelle. Et perte des lieux et des objets qui constituent l'environnement matériel de l'enfant, l'arrière fond sur lequel se construisent et s'étayent son identité et son sentiment de sécurité.

La psychopathologie parentale peut jouer un rôle important dans la décision de mettre en place une résidence alternée et dans les dysfonctionnements qui apparaissent alors. Les troubles augmentent en cas de conflit parental, lequel est en lui-même une source de discontinuité dans le vécu de l'enfant, et de clivage. Mais ils peuvent aussi exister en cas de résidence alternée non conflictuelle.

Parmi les traces précoces qui persistent, les études montrent la fréquence de l'hyperkinésie avec troubles attentionnels. L'augmentation de ce motif de consultation est peut-être à mettre en lien avec l'augmentation du nombre de séparations parentales concernant des enfants en bas âge, Winnicott ayant souligné dès 1962 que ce trouble peut dans certains cas être lié à une rupture répétée de la continuité du sentiment d'exister. Persistent aussi les troubles internalisés sous forme d'angoisse, dépression, inhibition, qu'on peut retrouver à l'âge adulte sous la forme d'attaques de panique, de troubles anxieux généralisés, de gel des émotions, de tension permanente, de difficultés à s'engager dans une relation. Les prises en charge thérapeutiques chez les enfants petits ne parviennent souvent pas à faire contrepoids à la répétition traumatique de la perte des personnes et des lieux et peuvent échouer en l'absence de modification du rythme d'hébergement.

Pour pouvoir être mise en place, une résidence alternée devrait satisfaire aux conditions suivantes : concerner des enfants âgés de plus de six ans, être flexible sans être chaotique, reposer sur une bonne base de coopération entre les parents avant la séparation, et l'arrangement doit être centré sur l'enfant et pas sur l'adulte.  Enfin la distance géographique entre les domiciles parentaux doit être faible. Au-dessous de six ans, des précautions particulières doivent être prises concernant le droit d'hébergement en général. Tout enfant a besoin d'un contact avec ses deux parents, lesquels constituent un apport affectif différent et complémentaire. Des contacts fréquents et signifiants doivent avoir lieu avec le parent qui n'a pas l'hébergement principal, mais selon un principe de progressivité qui doit respecter les besoins primaires de stabilité et de continuité. Passer des nuits régulièrement hors du lieu d'hébergement principal est décommandé avant l'âge de deux ans, et n'est souhaitable ensuite que lorsque l'enfant comprend ce qu'on lui dit, peut anticiper, peut comprendre ce que "demain" veut dire, peut exprimer verbalement ses besoins, et s'il existe une communication fluide entre ses parents (cf. site de la WAIMH.fr).

Il est évident qu'à partir de ces constatations, les projets de loi actuels ne peuvent aboutir qu'à un véritable problème de santé publique : des milliers d'enfants risquent de présenter les symptômes décrits ci-dessus, que nous aurons beaucoup de mal à prendre en charge, tant du fait de leur nombre que par la difficulté à mobiliser les traces de souffrance précoce. Dans la lignée de Serge Lebovici, Michel Soulé, Myriam David, Jeanine Noël, et d'autre de nos modèles qui ont agi à partir de leur savoir et de leur expérience clinique, nous devons solliciter une loi claire et protectrice centrée sur les besoins de stabilité affective et matérielle des enfants, la décision judiciaire pouvant être au besoin être nuancée secondairement au cas par cas. Si nous ne nous positionnons pas maintenant, nous nous retrouvons dans la même situation qu'en Mars 2002, lorsque la loi légalisant la résidence alternée a été rédigée et votée sans que l'avis d'un seul psychologue ou pédopsychiatre ait été sollicité. Nous devons aussi demander que pour tout projet de loi concernant plus ou moins directement la vie d'un enfant, les sociétés scientifiques et professionnelles soient consultées.

Nous pensons qu’il faut des propositions concrètes qui sont effectives dans d’autres pays. Pour ces raisons, nous demandons à tous les professionnels de l’enfance qui se sentent concernés de soutenir la pétition, accessible en suivant le lien ci-dessous, en la signant et en la transmettant à des collègues.

Lien d’accès à la pétition en ligne :
http://yahoo.us3.list-manage.com/track/click?u=ddf290138f40ed26964545eb2&id=304aa283b9&e=41febaa12c

Maurice Berger, chef de service en pédopsychiatrie au CHU de St Etienne
Emmanuelle Bonneville, Maître de Conférences en psychologie de l’enfant à l’Université Paris V
Albert Ciccone, Professeur de psychologie et de psychopathologie de l’enfant à l’Université Lyon 2
Bernard Golse, Professeur de pédopsychiatrie à l’Université Paris V, chef de service à l’Hôpital Necker-Enfants Malades
Antoine Guédéney, Professeur de pédopsychiatrie à l’Université Paris VII, chef de service à l’Hôpital Bichat-Claude Bernard
Eugénie Izard, pédopsychiatre en libéral, auteure de « Troubles psychiques observés chez les enfants vivant en résidence alternée non conflictuelle »
Jacqueline Phélip, Présidente de l’association « L’enfant d’abord », auteure de « Le livre noir de la garde alternée » (Dunod, 2006) et de « Divorce, séparation : les enfants sont-ils protégés » (Dunod, 2012)
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